Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Du Lien par l'Art

Du Lien par l'Art

La culture au service du développement des territoires et des personnes


Culture & Social : le choc des cultures ?

Publié par Annabelle Couty sur 3 Juillet 2014, 08:22am

Catégories : #politique culturelle, #culture & social, #médiation

Culture & Social : le choc des cultures ?

A l'heure de la crise économique, des restrictions budgétaires et du grand régime dans les dépenses des collectivités, un beau défi attend les décideurs locaux : la transversalité des politiques publiques. Même si cela ressemble parfois à un mariage forcé, l'alliance du culturel et du social produit parfois de beaux bébés pleins d'avenir.

Il m'est arrivé à plusieurs reprises dans ma carrière de consultante de contribuer à la mise en place de projets transversaux à visée culturelle et sociale. Ces projets comptent pour moi parmi les plus passionnants, parce qu'ils revêtent à la fois un aspect idéologique (lutter contre les freins d'accès à la culture) et très concret (définition d'actions, impulsion d'une dynamique partenariale.)

Dans la plupart des cas, j'ai pu constater l'existence de plusieurs résistances freinant ces initiatives. Quels sont ces freins ?

La première raison est tout simplement celle d'une méconnaissance mutuelle entre les acteurs du secteur culturel et les acteurs du secteur social. C'est un principe vieux comme l'humanité : ce qui est méconnu et différent de soi suscite la méfiance. Et des a priori existent : les "cultureux" étant parfois considérés comme des originaux n'ayant pas vraiment le sens du service public, les acteurs sociaux comme des hommes et des femmes de terrain faiblement ouverts et cultivés. Bien sûr, la réalité est tout autre. Ces a priori peuvent aisément être combattus par des échanges réguliers.. Le problème est bien souvent que personne ne prend l'initiative de ces temps d'échanges au sein des collectivités : la faute au cloisonnement (des esprits et des services).

Plus profond et plus dur à combattre est la postulat idéologique qui voudrait que culture et social soient fondamentalement incompatibles. Il est vrai que les acteurs culturels sont davantage préoccupés par l' "oeuvre" (cohérence du fonds d'une bibliothèque, qualité de la programmation d'un théâtre) que les acteurs sociaux qui ont pour premier objectif la réponse aux besoins des personnes. Mais cette différenciation tend à se réduire au fil du temps, avec des équipements culturels développant les actions de médiation et s'interrogeant sur la diversité de leur public : l'évolution du métier de bibliothécaire et l'émoi que traverse la profession en est une preuve. On a pu craindre qu'il y ait une "instrumentalisation" de la culture à des fins de cohésion sociale. Pendant longtemps les projets culturels à vocation sociale ont été jugés avec suspicion et condescendance, sentiments qui sont peu à peu combattus par la hausse de la qualité de ces projets. On n'est pas toujours forcé de choisir entre un projet à fort impact social et à haute qualité artistique : des exemples le prouvent (voir plus bas).

D'autres raisons plus pratiques freinent les initiatives de projets transversaux culture/ social : parmi eux, la précarité du statut de certains acteurs sociaux, tels que les animateurs des centres sociaux ou centres de loisirs, qui font parfois de trop brefs passages dans les structures ce qui complexifie la mise en place de projets sur la durée. On relève également parmi les freins une gestion du temps qui diffère fortement, les acteurs culturels étant obligés de prévoir leur programmation longtemps à l'avance quand les acteurs sociaux ont l'habitude d'une plus grande souplesse. Enfin, l'obstacle incontournable reste souvent le manque de personnel et de budget pour monter des projets innovants et expérimentaux : en période de restriction budgétaire, chacun peut avoir le réflexe compréhensible de se restreindre à son cœur de métier.

Pourtant, si les résultats ne sont pas toujours immédiatement au rendez-vous, l'audace finit souvent par payer. La mise en place de tels projets demande du temps, mais une fois le rythme de croisière installé ils permettent d'en gagner. A condition de ne pas avoir peur des premiers échecs.

Aujourd'hui les exemples inspirants tendent à se multiplier.

Les équipements mixtes culturel / social émergent, avec l'envie de réinventer les pratiques culturelles : ce sera le cas dans le quartier sensible de la Croix Rouge à Reims, où un nouvel équipement accueillera un centre social, une crèche, une salle de spectacles, des studios de répétition et une pépinière associative. Pour favoriser l'intégration du futur bâtiment dans son environnement, le collectif Etc organise sur place des chantiers créatifs. Autre projet en cours d'élaboration : l'Agora, dans le quartier de Metz-Patrotte, qui accueillera en un seul et même ensemble une bibliothèque-centre social. Ces deux projets prévoient de réelles interactions entre les diverses activités accueillies, afin de défendre une pratique culturelle en lien avec la ville et le quotidien de ses habitants.

Présentation du futur équipement public dans le quartier Croix-Rouge à Reims (images : cabinet d'architecture Jean-Philippe Thomas)Présentation du futur équipement public dans le quartier Croix-Rouge à Reims (images : cabinet d'architecture Jean-Philippe Thomas)

Présentation du futur équipement public dans le quartier Croix-Rouge à Reims (images : cabinet d'architecture Jean-Philippe Thomas)

Culture & Social : le choc des cultures ?

Plus étonnant encore : ces initiatives touchent même le prétendu élitisme de l'art contemporain. Un exemple : celui du "laboratoire de création artistique" de la prestigieuse Biennale d'art contemporain de Lyon nommé "Veduta". Derrière le concept mouvant de Veduta, se cache une méthode qui s'affine d'une édition à l'autre : des projets dans différents quartiers du Grand Lyon créés en lien avec les structures locales, un temps important (plusieurs heures par semaine pendant plusieurs mois) passés à le sensibilisation et à "l'éveil du regard" d'habitants curieux et volontaires, puis l'initiation de ces mêmes habitants aux métiers de médiateurs, scénographes ou commissaires d'exposition. Avec parfois de brillants résultats : à Décines, le "Cube Blanc", architecture temporaire installée au milieu des immeubles accueillit en 2011 une exposition conçue par les habitants. Ceux-ci, pris au jeu, décidèrent de leur propre initiative de poursuivre l'aventure bien après la fin de la Biennale. Une exposition Robert Combas fut même organisée en 2012. Si le Cube Blanc a fini par céder aux ravages du temps et des intempéries, les habitants, eux, sont toujours investis dans des actions de médiation artistique, soutenus par leur ville. A l'origine de de cette belle success story il y eut donc la Biennale, la ville de Décines et un réseau de partenaires : le centre social, un bailleur social (l'OPAC 38), la maison de l'emploi, et une association à caractère social et thérapeutique (l'ADSEA 69). La preuve est faite qu'un réseau d'acteurs au coeur de métier bien différent peut se fédérer autour d'un objectif à grande valeur artistique et humaine. Et Veduta récidive d'une édition à l'autre. Sa dernière invention a été fortement médiatisée : elle a consisté à exposer des oeuvres des artistes de la Biennale...dans les logements des habitants du Grand Lyon !

Quelles conclusions tirer de ces exemples ? Que ces projets, s'ils veulent être conduits à terme et avec succès, doivent faire l'objet d'une attention particulière : ils nécessitent un temps inestimable d'échanges entre acteurs, afin d'adapter un langage, des pratiques et des habitudes qui sont parfois très différents. Ils nécessitent donc un véritable portage du projet, à la fois sur le plan technique et politique pour maintenir le cap et la vision. Enfin, il est important d'avoir conscience que la valeur de ces projets ne se mesurera pas toujours avec des données quantitatives. Parce qu'il s'agit de toucher des personnes éloignées de la culture et donc de lutter contre toutes sortes de freins (sociaux, psychologiques, géographiques...), le ratio entre le temps passé et le nombre de personnes touchées par ces actions pourra sembler peu satisfaisant. Mais il serait injuste de sous-estimer la triple valeur de ces projets :

  1. une valeur symbolique : celle de ne pas accepter que la culture soit réservée à un nombre limité d'happy few. Voilà pourquoi tout projet défendant le principe de démocratie culturelle a sa raison d'être.
  2. une valeur de résonance : si ces projets nécessitent beaucoup d'énergie et touchent parfois peu de monde, il ne faut pas oublier qu'ils sont particulièrement qualitatifs. Les personnes touchées seront à l'avenir susceptibles de transmettre quelque chose de leur expérience à leurs proches, leurs enfants, leur entourage. Ce sont donc des projets à fort potentiel de résonance.
  3. une valeur d'efficacité et de cohérence politique, qui vise à faire travailler ensemble des acteurs autour de la notion de service public. Acteurs culturels et acteurs sociaux ont beaucoup à apprendre les uns des autres, de la confrontation de leurs pratiques et de leurs idéaux.

Plutôt que de parler de projets à vocation culturelle et sociale, peut-être faudrait-il simplement parler d'intelligence partenariale, d'innovation et d'expérimentation de nouvelles pratiques culturelles ?

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !