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Du Lien par l'Art

Du Lien par l'Art

La culture au service du développement des territoires et des personnes


La culture pour améliorer le vivre ensemble en montagne ? C'est possible !

Publié par Annabelle Couty sur 16 Février 2015, 09:23am

Catégories : #politique culturelle

A la découverte des Pheuillus : un projet de coopération exemplaire dans les Pyrénées

Comment la culture peut-elle contribuer à améliorer le "vivre ensemble" ? Créer du lien entre les habitants, participer à la valorisation d'un territoire ? Et quelles sont les "recettes" (si recettes il y a...) à appliquer pour y parvenir ? Le rôle de ce blog est notamment de donner une visibilité à ces initiatives, discrètes ou médiatisées, susceptibles de provoquer une contagion positive si l'on en extrait les bons ingrédients.

J'ai pu participer début février à un séminaire de bilan et de perspectives pour un projet culturel inédit : “Balade à la rencontre des Pheuillus : une traduction artistique du Guide des bonnes pratiques de la montagne à l'échelle des Pyrénées" Ce projet me semble exemplaire pour plusieurs raisons, que je vais exposer ici.

Film présentant le projet "Balade à la rencontre des Pheuillus"

1/ Penser la culture comme vecteur d'un mieux vivre ensemble.

L'idée peut sembler saugrenue : à l'origine du projet artistique des Pheuillus, il y a un "Guide des bonnes pratiques de la montage basque" coordonné par l'association EHMEB (qui rassemble quatre Commissions Syndicales gestionnaires de territoires montagnards). L'objectif de ce guide ? Prévenir les conflits d'usage et améliorer la cohabitation des activités en montagne basque (agro-pastoralisme, tourisme, chasse, exploitation forestière, environnement...). En plus des outils d'animation et des supports de communication proposés, les porteurs du projet ont l'idée de s'appuyer sur la création et la diffusion d'un spectacle vivant pour sensibiliser aux bonnes pratiques en montagne.  C'est ce principe qui se trouve à l'origine du projet : la conviction chez certains acteurs du rôle que peut jouer l'art et la culture dans l'instauration d'un mieux vivre ensemble.

2 / Créer un projet ambitieux de coopération

C'est ici que la dimension multi-partenariale intervient comme second facteur de réussite : dans notre exemple, le projet nait de la coopération d'un nombre important d'acteurs et de partenaires institutionnels qui, au-delà des frontières administratives, trouvent un intérêt à travailler ensemble. Pour son projet de spectacle, l'association EHMEB contacte HAMEKA, fabrique des arts de la rue de la Communauté de communes d'Errobi (Pyrénées-Atlantique). HAMEKA décide de s'associer à Ax Animation, projet culturel de la Communauté de communes de la Vallée d'Ax  (en Ariège). Bien que ne faisant partie ni du même département ni de la même région, HAMEKA et Ax Animation sont reliés par la même réalité géologique : les Pyrénées. Travailler ensemble, c'est donc mutualiser les moyens et les idées au service de la valorisation de la montagne. Plusieurs institutions partenaires se rassemblent autour de ces acteurs, aussi bien en Aquitaine qu'en Midi-Pyrénées : le Conseil Régional de l'Aquitaine, le fonds européen Feader à travers les programmes Leader Montagne Basque et Leader Pays d'Ariège Pyrénées, le Conseil Général de l'Ariège, et le Commissariat Général à l'Egalité des Territoires. De quoi donner de l'ampleur et de l'ambition à un projet qui n'en manque déjà pas.

3 / Préserver la liberté de création artistique

Un appel à projets est donc lancé pour choisir les artistes qui relèveront le défi : proposer un spectacle s'appuyant sur le Guide des bonnes pratiques en montagne basque pour sensibiliser au vivre ensemble dans les Pyrénées. La compagnie Le Phun (basée à L'Usine de Tournefeuille, près de Toulouse) est sélectionnée. Le Phun est réputée dans le domaine des arts de la rue pour la création de ses univers poétiques et décalés en relation avec l'environnement. Déjà en 1987 elle envahissait la place Saint-Germain à Paris en y installant...un potager (!) sous l'oeil ébahi des badauds (voir la vidéo sur le site de l'INA). Son spectacle Les Gûmes, représenté plus de 300 fois, a été diffusé à la Villette et dans la programmation In du Festival d'Avignon (chose inédite pour un spectacle des arts de la rue.) Dans les Pyrénées, Le Phun propose donc de faire appel à de curieux médiateurs : les Pheuillus, un peuple de feuilles mortes que le public est invité à découvrir par hasard ou dans le cadre de randonnées-spectacles. Car la proposition artistique a l'intelligence d'associer de l'éphémère et du durable, des installations et des spectacles.

Peu à peu les Pheuillus peuplent les champs et les forêts de leur étrange présence, apparaissent et disparaissent par le plus grand des mystères. Si des spectacles ont lieu, ce n'est que pour orchestrer ces apparitions qui laissent une trace durable dans le paysage et dans l'esprit de ceux qui croisent leur route.

Crédits photos : Jordi Bover, Jean-Pierre Estrounet, Le Phun
Crédits photos : Jordi Bover, Jean-Pierre Estrounet, Le Phun
Crédits photos : Jordi Bover, Jean-Pierre Estrounet, Le Phun
Crédits photos : Jordi Bover, Jean-Pierre Estrounet, Le Phun
Crédits photos : Jordi Bover, Jean-Pierre Estrounet, Le Phun

Crédits photos : Jordi Bover, Jean-Pierre Estrounet, Le Phun

Parce qu'ils semblent appartenir aussi bien à l'espèce humaine qu'aux espèces animale et végétale, les Pheuillus interpellent notre humanité dans ses fondements. Et notre rapport à l'altérité. Leur relation au paysage (parfois drôle ou décalée ; toujours poétique) nous rend plus sensible à la beauté de la nature, à la fragile harmonie des êtres. Et l'on arrive au troisième ingrédient contribuant à la réussite du projet : laisser à l'art son langage, sensible et poétique, et ne pas l'enfermer dans un didactisme préjudiciable. Si la commande passée au Phun était bel et bien de s'inspirer du Guide des bonnes pratiques, il aurait été contre-productif d'instrumentaliser le travail artistique à des fins de communication. L'exercice est délicat, et la frontière ténue - il est vrai.  L'équipe du Phun s'est donc inspirée de l'esprit du Guide plutôt que de la lettre : métaphore vivante d'une symbiose entre l'homme et la nature, les Pheuillus incitent à la contemplation, et les comédiens qui animent la randonnée-spectacle encouragent le public à adopter ce nouveau regard sensible et respectueux. L'essentiel du message est là ; pour le reste (les bons gestes et les conseils pratiques), ce sont aux acteurs du territoire (guides, observatoire de la montagne, animateurs...) de s'appuyer sur la sidération que suscitent Les Pheuillus pour faire passer des messages plus explicites. Une vraie complémentarité des langages est rendue possible.

4 / Prendre le temps de "l'infusion artistique" sur le territoire

Le quatrième élément contribuant à la réussite est un facteur temporel : en l'occurrence plusieurs mois durant lesquels la compagnie a effectué des résidences de création, testant ses idées,  s'imprégnant du territoire, récoltant la parole des habitants (bergers, paysans, élus, naturalistes, enfants...). C'est durant cette période de création et d'infusion qu'on peut le mieux créer du lien : ici il faut demander l'autorisation à un paysan d'héberger un Pheuillu dans son champ, là c'est un grand méchoui qui est organisé en leur honneur. Les Pheuillus, qui déclenchèrent à leur arrivée des réactions parfois hostiles, finissent par se rendre attachants, inoubliables. Et l'on touche à la valeur de la présence artistique sur un territoire, inégalable pour déplacer les barrières, délier les langues et lutter contre les préjugés. Au final, ce seront 11 randonnées spectacle (en français et en basque) qui auront lieu entre Ariège et Pyrénées-Atlantique, des dizaines de Pheuillus aperçus sur une vingtaine de sites, et plusieurs centaines de personnes (touristes et habitants) touchées et impliquées dans le projet. 

La culture pour améliorer le vivre ensemble en montagne ? C'est possible !

5 / Accompagner le projet par de belles actions de communication ("créer le buzz" !)

Le projet des Pheuillus a été accompagné d'actions de communication importantes qui ont permis d'attiser la curiosité des habitants et de renforcer l'impact du projet.

Un site internet a été créé pour l'occasion, ainsi qu'une page facebook. Des affiches ont été placées dans différents lieux du territoire : selon le principe du teasing et du marketing viral, elles lançaient un "appel  à témoins" pour repérer les Pheuillus et inciter les gens à poster leurs photos et leurs témoignages sur le site internet. La presse s'est également fait le relais de la présence mystérieuse des Pheuillus, au sujet desquels les journalistes "menaient l'enquête".  Ces actions de communication, associées à une présence durable et nombreuse des Pheuillus, ont permis de créer un véritable buzz. Selon les organisateurs, ce fut une des grandes surprises du projet: "- Il y a eu un effet démultiplicateur des Pheuillus qu'on n'avait pas anticipé - Partout les gens avaient vu ou entendu parler des Pheuillus. Ils en parlaient entre eux.". Et dans ces territoires parfois très ruraux, selon la parole d'un élu "les habitants ont eu le sentiment que chez eux, il se passait quelque chose". 

Bilan et perspective : quelles suites donner au projet ? 

Le séminaire qui se tint le 5 février au Château de Libarrenx poursuivait deux objectifs : réunir l'ensemble des partenaires autour d'un bilan partagé et réfléchir à de nouvelles perspectives. Concernant la partie bilan, il a été reconnu aux Pheuillus leur capacité à "mettre autour de la table des personnes non habituées à travailler ensemble" et "à contribuer à une meilleure compréhension de la montagne et de ses activités". Le message de respect envers les habitants et les animaux de la montagne a été globalement bien entendu par le public. Un des grands succès tient aussi au lien tissé avec les éleveurs, qui se sont sentis entendus et associés. Les réserves et les interrogations ont porté sur la manière de toucher un public plus nombreux et plus diversifié (notamment les touristes et les enfants des écoles) et de rendre les messages du Guide des bonnes pratiques plus explicites.

Séminaire de bilan du projet des Pheuillus au Château de Libarrenx (à gauche : crédit photo Hameka)Séminaire de bilan du projet des Pheuillus au Château de Libarrenx (à gauche : crédit photo Hameka)

Séminaire de bilan du projet des Pheuillus au Château de Libarrenx (à gauche : crédit photo Hameka)

Ce projet mérite d'être poursuivi, tant par sa qualité artistique que par la cohérence et l'efficacité de sa mise en oeuvre : les partenaires souhaitent à présent encourager la transhumance des Pheuillus sur l'ensemble des Pyrénées, ce qui implique d'inclure les Hautes-Pyrénées et l'Espagne en un projet transfrontalier qui pourrait bénéficier du soutien de l'Europe (POCTEFA 2014-2020).  

Il s'agirait également d'intensifier le rayonnement et l'impact des Pheuillus, en s'appuyant sur de nouveaux relais territoriaux (Parcs Naturels Régionaux, Pays d'Art et d'Histoire, structures culturelles et sociales, praticiens de la montagne, écoles...), qui pourraient être sollicités pour accompagner le travail de la compagnie Le Phun en menant leurs propres actions de concertation et de sensibilisation. Et l'on en vient à rêver que la culture, à travers ces superbes ambassadeurs du lien social que sont les Pheuillus, puisse faciliter un nouveau mode de coopération multipartenariale, au carrefour des politiques sociales, économiques, touristiques et environnementales, et au service de la préservation de la montagne.

crédit photo : Jordi Bover

crédit photo : Jordi Bover

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L
Bonjour Annabelle, je vous ai envoyé un message en réponse à cet article, je ne sais pas si vous l'avez reçu ou pas<br /> Cordialement
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A
Bonjour Frieda, et merci de votre intérêt pour le projet. L'idée serait d'étendre le projet culturel sur l'ensemble des Pyrénées, et donc d'inclure également les Hautes Pyrénées et l'Espagne. Le travail se fait en plusieurs étapes :<br /> - on choisit une collectivité (une ville, une communauté de communes, un parc...) qui souhaite participer au projet et accueillir les Pheuillus, <br /> - un travail est réalisé avec les acteurs du territoire pour sensibiliser les habitants et mener des actions culturelles (en lien avec les écoles, les associations locales, l'office du tourisme...),<br /> - les Pheuillus investissent le territoire,<br /> - des randonnées spectacles sont organisées pour partir à leur découverte.<br /> Il s'agirait d'un projet encore plus ambitieux que le projet initial car il s'étendrait sur un territoire plus vaste, avec une coopération entre la France et l'Espagne, des fonds européens, de très nombreux partenaires...
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F
Vous dites : Hautes-Pyrénées? Le projet me parle et m'intéresse beaucoup. Est-ce que vous pouvez me dire comment vous voyez ce genre de coopération?
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